samedi, février 03, 2007

En forêt
(par Yves Dion)

En forêt, à la belle étoile, on ne voit pas venir la nuit même jusqu'à 22:00 heures et davantage, on dirait qu'il reste toujours une lueur étonnamment forte jusqu'à ce qu'on doive allumer une allumette ou une lampe de poche et alors la nuit nous enveloppe avec une telle profondeur, avec une telle soudaineté, comme un manteau de velours qu'on nous jetterait sur les yeux. Sur le coup, cette noirceur est si riche qu'on croirait qu'on ne pourrait voir notre main au bout de notre bras. La noirceur est comme un voile et fait penser au noir profond du café dans la tasse. Petit à petit, le mur s'éloigne et les formes et les lueurs des objets se dévoilent un peu. La nuit est omniprésente et gigantesque, gigantesque à la mesure de notre imagination qui tente de deviner ce qu'il peut y avoir au-delà de ce voile et au delà de l'espace impénétrable. La lumière forme une bulle et on ne voit les choses qu’à la pièce, l’ensemble ne reste qu’à notre seule compréhension, qu’à notre seule interprétation, qu’à notre conceptualisation, qu’à notre seul souvenir. La réalité pourrait donc être toute autre que ce qu’on en pense, que ce qu’on en a retenu. Notre bulle est à la fois rassurante, familière, inquiétante et angoissante parce que limitée, ce qu’on y voit nous rassure. Alors, vaut-il mieux une faible lueur ou un fort éclairage ? Même le fort éclairage ne nous est pas d’un grand secours, il ne fait que repousser illusoirement l’insondable. Au-delà, l’espace invisible est à la fois tout aussi beau et effrayant parce que tout s’y trouve, tout ce qu’on y met. Avec une allumette, l’ombre est immense et belle, l’ombre n’est ni annihilée ni réduite, elle ne fait que se déplacer avec nos pas, s’ouvre et se referme sur nous, nous enveloppe de sa protection et de son silence ou encore nous enserre, c’est selon.

Alors, on ne va pas éclairer l’insaisissable, on va délimiter notre vision, choisir un endroit où regarder, choisir aussi la portée de notre regard en sachant que peu importe notre prétention à tenter de repousser les limites de notre vision, la profondeur de la nuit est sans limite et porteuse de tous les possibles, de tous les espoirs et de toutes les inquiétudes.


Yves Dion

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