dimanche, février 11, 2007

Et le poème que je vous ai lu en tout début d'atelier

Le chemin du retour

Par le chemin du retour

Je rentre chez moi

Je viens boire à la profondeur du puits

Qui ne sait rien des mensonges

À bout de bras

La terre porte mes pas erratiques

Me déposant au seuil de ma peur

La porte est entr’ouverte

Devant moi avance le silence

J’emmène mes os

Des morceaux de phalanges

Rescapées au massacre

Miracle

Je suis en vie

Dame Mort n’a pas réussi à me tuer

J’emmène ma peau alambiquée

Par tant de chagrins

Et mon corps fragmenté

Recouvert d’un linceul

La nuit avance avec moi

Compagnon de route

Je ne connais pas cette demeure

mais elle me reconnaît

J’emmène la mémoire de mes deuils

Bien rangés dans mon bagage

Et les nuits extatiques

Enfermées dans le souvenir

J’emmène mes mains taciturnes

Et mes pieds tachés de sang

Et j’emmène aussi mes rêves qui ont cessé de rêver

Je ne sais pas où je suis mais j’y suis

Enfin

Là ou rien ne se perd

Là où tout devient autre

Soigneusement je dépose les bribes de moi-même

En guise d’offrande, sur les cendres

Et j’attends…

J’attends que mon âme vienne

Par la porte entr’ouverte

à ma rencontre.

Flavia Garcia

10 février 2007

La llorona

Chers amis et chères amies du Cercle Ouroboros

Voici, tel que promis, le conte La llorona que nous explorerons samedi prochain à l'atelier.
Bonne lecture

Un riche hidalgo courtise une femme très belle mais pauvre et obtient ses faveurs. Elle lui donne deux fils sans qu'il daigne l'épouser. Un jour, il lui annonce qu'il rentre en Espagne pour s'y marier avec une femme riche choisie par sa famille et qu'il y emmène ses fils avec lui.
Véritablemente folle de douleur, la jeune femme se comporte comme toutes celles qui se trouvent dans cet état et hurlent leur souffrance. Elle se griffe le visage, se jette sur lui, se lacère, se lacère. Puis, elle prend avec elle ses deux petits garçons et court vers la rivière, dans laquelle elle les précipite. Les enfants se noient et La Llorona s'effondre sur la rive, où elle meurt de chagrin. L'hidalgo rentre en Espagne et épouse la femme riche. L'âme de La Llorona monte au paradis. Là, on lui dit à la porte qu'elle peut entrer au paradis car elle a souffert, mais pas avant qu'elle ait récupéré l'âme des deux enfants dans la rivière. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui que La Llorona, la femme qui pleure, balaie la rive de ses longs cheveux, plonge ses longs doigts dans l'eau pour sonder le fond à la recherche de ses fils. C'est aussi la raison pour laquelle les petits enfants ne doivent pas aller se promener sur le bord de l'eau après la tombée de la nuit, car La Llorona pourrait les prendre pour ses propres enfants et les emmener à tout jamais.

P. 412 Femmes qui courent avec les loups

samedi, février 03, 2007

Le coquillage (par Flavia Garcia)

Entre ciel et mer

Entre brume et lait

Au détour du hasard

Je te trouve

Coquillage solitaire

Épave échouée

Sur les vestiges de moi-même

Tu viens de loin

Remontant la lignée

Des ancêtres incertains

Poussé de siècle en siècle

Par les détonations successives des vagues

Entre jour et nuit

Entre mer et sable

Tu gis

Je viens dévoiler le secret de ton âme

Je t’observe, je fais le tour

De ta beauté imparfaite

J’ai peur que tu me files

Encore entre les rêves

Si j’ose humer la tendresse diaphane

Enfouie dans ta chair humide

Si j’ose te prendre dans la paume de mes yeux

Entre nuit et réveil

Entre sable et lumière

Splendeur conique

Lueur nocturne

Tu déploies tes rondeurs incessantes

A fond je respire ta salive saline

Je bois à toi

Effaçant une à une les traces

Du passé

Imprimées sur ta coquille

Puis, je te dépose

Au bout de tes larmes

Libre

Tu roules sur tes saillies

Épousant la rondeur

Liquide du néant

Et les flots t’emportent

Là ou l’infini et le monde

Ne font qu’un

Il fait déjà nuit

Je saurai retrouver

Le chemin du retour

Dans cette blanche noirceur marine



Flavia GArcia

À propos du Cercle Ouroboros (par Yves Roberge)

Bien que le Cercle ne constitue pas un lieu de thérapie, je trouve la démarche très positive en ce qu'elle permet de se distancier de sa pensée (dans le sens de 'mind'), de la considérer de l'extérieur comme un objet distinct, ou plutôt un assemblage d'objets distincts. Ce qui contribue à dédramatiser bien des éléments de la personnalité. Par contre, pour certaines personnes, il pourrait y avoir une tendance à s'ancrer dans une dialectique, sans jamais s'incarner dans leur moi unique, le "je" en le projetant toujours dans une pensée analytique. Je pense, et c'est un point de vue très personnel, qu'il est aussi important de vivre des moments de drame entier, amour, passion, création, défaite, exploration, où l'on est tout entier absorbé par l'immensité des choses (même des petites choses).
Et voilà, c'était juste une petite pensée mais je crois que le processus du Cercle est très très posititif et la chimie des gens, ces jours-ci, chevauche la science et la poésie avec une aisance peu commune.

Yves Roberge
En forêt
(par Yves Dion)

En forêt, à la belle étoile, on ne voit pas venir la nuit même jusqu'à 22:00 heures et davantage, on dirait qu'il reste toujours une lueur étonnamment forte jusqu'à ce qu'on doive allumer une allumette ou une lampe de poche et alors la nuit nous enveloppe avec une telle profondeur, avec une telle soudaineté, comme un manteau de velours qu'on nous jetterait sur les yeux. Sur le coup, cette noirceur est si riche qu'on croirait qu'on ne pourrait voir notre main au bout de notre bras. La noirceur est comme un voile et fait penser au noir profond du café dans la tasse. Petit à petit, le mur s'éloigne et les formes et les lueurs des objets se dévoilent un peu. La nuit est omniprésente et gigantesque, gigantesque à la mesure de notre imagination qui tente de deviner ce qu'il peut y avoir au-delà de ce voile et au delà de l'espace impénétrable. La lumière forme une bulle et on ne voit les choses qu’à la pièce, l’ensemble ne reste qu’à notre seule compréhension, qu’à notre seule interprétation, qu’à notre conceptualisation, qu’à notre seul souvenir. La réalité pourrait donc être toute autre que ce qu’on en pense, que ce qu’on en a retenu. Notre bulle est à la fois rassurante, familière, inquiétante et angoissante parce que limitée, ce qu’on y voit nous rassure. Alors, vaut-il mieux une faible lueur ou un fort éclairage ? Même le fort éclairage ne nous est pas d’un grand secours, il ne fait que repousser illusoirement l’insondable. Au-delà, l’espace invisible est à la fois tout aussi beau et effrayant parce que tout s’y trouve, tout ce qu’on y met. Avec une allumette, l’ombre est immense et belle, l’ombre n’est ni annihilée ni réduite, elle ne fait que se déplacer avec nos pas, s’ouvre et se referme sur nous, nous enveloppe de sa protection et de son silence ou encore nous enserre, c’est selon.

Alors, on ne va pas éclairer l’insaisissable, on va délimiter notre vision, choisir un endroit où regarder, choisir aussi la portée de notre regard en sachant que peu importe notre prétention à tenter de repousser les limites de notre vision, la profondeur de la nuit est sans limite et porteuse de tous les possibles, de tous les espoirs et de toutes les inquiétudes.


Yves Dion